[EGREGORE] Partie I, chapitre 13

13.
“Soit”, dis-je après un temps de réflexion. “Je veux bien supporter tout ce que vous,
ou Tadeusz, me mettrez sur le dos. Mais Radomìr, sa fille et sa ferme doivent rester
en dehors de tout ça.”
‘C’est impossible à garantir”, me répondit-il en croisant les bras. Je m’approchai de
lui avec le plus d’aplomb possible et plongeai mon regard dans le sien.
“Vous saviez que Tadeusz exerçait de violentes pressions sur eux ? Si je connaissais
la région, je dirais que Radomìr doit être le seul qu’il n’a pas encore acheté”, dis-je
d’un ton lourd de sous-entendu.
“Je mentirais en disant que ça me surprend”, me répondit-il en soutenant mon
regard. Il restait prudent. J’esquissai un léger rictus.
“Il s’apprêtait à battre une innocente jeune fille. C’est pour ça que je suis intervenu.
Et j’interviens rarement sans une excellente raison.”
“Et voilà le résultat. Vous ne pouvez pas vous substituer sans conséquences à un
représentant de l’ordre et de la loi.”
“Me substituer ? Certainement pas, ce n’est pas dans mes prétentions. Mais quand
la loi, telle que vous semblez la défendre, est manipulée par un homme dont le seul
but est de l’enfreindre, il n’y a plus que les hommes de bien pour la faire respecter.
Vous n’êtes pas d’accord ?”
“Par exemple, des hommes comme vous ?”
“Non. Des hommes comme vous.”
Je vis dans son regard qu’il était déstabilisé. Il fallait que je sache. Je continuai.
“Vous êtes un homme de bien, n’est-ce pas, chef ?” Il ne répondit pas. Et je lus dans
ses yeux un sentiment que je connaissais bien : la culpabilité.
Cela confirma mes craintes. Même les hautes autorités du village avaient été
corrompues par ce Tadeusz. Voilà donc la situation dans laquelle je me trouvais.
Un silence tendu s’installa entre nous.
Je décidai de rassembler mes affaires et de retourner à la ferme. Au moment où
j’ouvris la porte de son bureau, il m’interpela.
“Monsieur Cantor, qu’allez vous faire ?” me demanda-t-il, inquiet.
“Défendre la ferme”, répondis-je.
“Si vous vous impliquez trop, je n’aurai pas d’autre choix que de vous considérer
comme…”
“…comme vous auriez dû considérer Tadeusz au départ ?” l’interrompis-je en me
retournant. Il poussa un soupir et termina sa phrase.
“Comme un criminel.”
Je m’avançai d’un pas et fixai ce chef sans autorité qui se tenait devant moi, les
mains dans le dos. Je pouvais deviner sa frustration.
« Exactement », répondis-je. Il soupira.
« Mes mains sont liées, monsieur Cantor. »
Je lui tournai le dos et ouvris la porte.
« Je mentirais si je vous disais que ça me surprend. »
Puis je sortis.