[EGREGORE] Partie II, chapitre 21

21.
« Au secours, au secours ! »
« Dornbusch à la mer ! Demoiselle en détresse », hurla un client. « Ou ça une
demoiselle ? » répondit un autre. Toute l’assemblée se mit à rire lourdement. Dorn
n’en fit aucun cas et s’approcha de l’aubergiste.
« Vite, appelez Ewald. Il y a un mourant dans la cale de mon bateau. »
Ewald était l’herboriste du port. Son métier consistait à soigner les marins et les
pêcheurs qui peuplaient les quais. Dorn était en quelque sorte sa meilleure cliente,
car son style de navigation était quelque peu extrême. Certains diraient même
suicidaire.
Ewald ne comprenait rien de cette femme qui prenait constamment des risques
inutiles sur le fleuve. Mais surtout, il ne comprenait pas comment elle en revenait
vivante à chaque fois. C’était un jour de tempête et lorsque l’aubergiste l’appela, il
devina de qui il s’agissait.
Peu de temps après, il était à bord du bateau de Dorn et examinait le malade.
« Qui est-ce ? » demanda le praticien.
« Aucune idée », lui répondit Dorn.
« Vous voulez dire que vous avez accepté d’embarquer un parfait étranger ? »
« Pas du tout. Je l’ai trouvé gisant dans ma cale alors que je m’apprêtais à partir
explorer la tempête. »
« Explorer la tempête ? » L’herboriste dépité secoua la tête. « Dorn, un jour votre
manque de prudence vous fera passer de vie à trépas. »
« Sur l’eau, j’ai survécu à pire », répondit Dorn en souriant.
« Vous ne devriez pas prendre cela à la légère. » A ces mots, Dorn se fit plus grave.
« A la légère ? Sachez que je ne prends jamais rien à la légère. Ni la vie, ni la mort,
ni la mer. Encore moins le fleuve. Allez dire cela à tous ces marins de pacotille qui
choisissent de passer leur vie à l’auberge plutôt que d’en apprendre. Ils prouvent
qu’il n’y a pas besoin de tempête pour noyer sa vie. »
C’était si soudain et inattendu, Ewald fut pris par surprise.
« Vous devriez poser un verrou sur votre embarcation », finit-il par dire.
Après quelques examens rapides, il livra ses observations.
« En tout cas, peu importe de qui il s’agit, cet homme est exceptionnellement
résistant. Surtout pour son âge. » Il ouvrit sa sacoche et sortit plusieurs produits
qu’il commença à mélanger dans un bol, ainsi qu’une bande de tissu et de la
cordelette.
« Il a une blessure de plusieurs jours sur le côté gauche. Probablement dû à une
lame. »
« Il n’a pas l’air d’un combattant », remarqua Dorn. Ewald appliqua un cataplasme
sur la plaie. « Pressez ici », ordonna-t-il. Dorn s’exécuta cependant qu’il préparait un
autre produit.
« A mon avis, la lame qui l’a touché était empoisonnée. J’ai un remède, mais je ne
sais pas depuis combien de temps le poison court dans ses veines. »
L’herboriste termina son mélange qu’il dilua dans un peu d’eau. « Il pourrait
mourir ».
Dorn observa un instant l’homme gisant dans sa cale. Puis, comme dans un état
second, elle murmura : « Non. Il va vivre ».