[EGREGORE] Partie II, chapitre 41

41.
Ewald regardait la nuit tomber par la fenêtre de l’auberge. « Le compte à rebours a
commencé », pensa-t-il.
Lui et Dorn avait choisi d’un commun accord l’auberge la plus excentrée qu’ils
aient pu trouvé compte tenu du peu de temps qu’ils avaient. Ils attendaient à
présent de savoir si Cantor était parvenu à sortir du port où s’ils allaient devoir se
mettre à sa recherche. L’attente était à la limite du supportable. La nuit s’annonçait
difficile.
« Vous êtes inquiet ? » lui demanda Dorn, assise en face de lui. Il n’eut pas le temps
de répondre. Une charmante jeune femme leur apporta deux tasses fumantes et
deux clés.
« On prépare vos chambres. Ne perdez pas les clés. »
« Merci, mademoiselle », répondit Ewald.
« Savez-vous quand doit arriver votre troisième compagnon ? » Dorn répondit
hésitant.
« Dans une heure… »
« …si tout se passe bien » compléta Ewald en murmurant. L’ambiance était lourde.
La jeune femme se sentit mal à l’aise.
« Très bien » finit-elle par dire. « Faites-moi signe si vous avez besoin d’autre chose.
Bonne soirée. » Elle s’en alla.
Dorn goûta la tisane et la trouva excellente. « Il faudra que je demande la recette »,
pensa-t-elle.
Elle observa Ewald du coin de l’œil et posa sa tasse.
« Je vous dois des excuses, Ewald. »
« Ah bon ? Des excuses pour quoi, au juste ? »
« Je vous ai mal considéré. Tout à l’heure au port, j’étais persuadé que vous ne
reviendriez pas. »
« Et prendre le risque de laisser mourir quelqu’un alors que je peux le sauver ?
Sûrement pas ! »
« Justement. Je vous prenais pour un homme froid et prudent, voir lâche. » Ewald
tiqua, Dorn continua. « Mais vous avez fait passer vos convictions avant vos peurs.
Vous m’avez impressionnée. »
Ewald regarda Dorn d’un œil différent. « Dans ce cas, moi aussi je vous ai mal
considérée. Je vous prenais pour un folle dangereuse et je ne comprenais pas ce qui
vous motivait. Mais après cette traversée avec vous, je comprends mieux à quel
point et à quel prix vous êtes parvenue à maîtriser ce que vous faites. Même si je
n’approuve pas forcément vos méthodes. »
Dorn rit à gorge déployée. Ewald sourit.
L’atmosphère se détendit, mais ils ressentaient tous deux le poids de leur
impuissance.
Dorn regarda par la fenêtre à son tour.
« Il n’est toujours pas là. » dit Ewald, inquiet. « L’heure est bientôt écoulée. »
« Vous ne vous demandez pas ce qu’il a fait pour devenir la cible de chasseurs de
primes ? » demanda Dorn.
« Non. »
« Et vous ne vous demandez pas pourquoi vous restez là pour l’aider ? Après tout,
vous l’avez soigné, vous pourriez rentrer chez vous avec la satisfaction du travail
accompli et personne ne vous en tiendrait rigueur. »
« Non, c’est vrai. Mais j’ai le sentiment que je ne pourrais pas m’en remettre s’il lui
arrivait quelque chose. » Dorn accusa le poids de cette remarque. Puis elle répondit.
« Moi aussi. C’est comme s’il était de ma famille et que je devais veiller sur lui. Vous
ne trouvez pas ça étrange ? »
« Si. Mais ce que je trouve encore plus étrange, c’est qu’un autre patient m’a déjà
inspiré ce sentiment avant. Un seul patient. »
« Ah bon ? Qui ? »
« Vous, Dorn. »