[EGREGORE] Partie III, chapitre 71

71.
« …,j’accuse le chef de la cité d’avoir abusé de son pouvoir et d’avoir ainsi entravé
l’exercice de vos libertés. »
Le chef jeta un œil à la foule. Elle semblait boire ses paroles.
Tadeusz avait passé le dernier quart d’heure à les convaincre que le chef était
incompétent, que c’était la raison de l’incendie, et qu’à cause de lui, la cité s’en
trouvait appauvrie. Il avait assuré que l’enquête qu’il avait provoquée sonnerait le
glas du village. Aucune de ses affirmations n’avaient de rapport l’une avec l’autre,
mais surtout, aucune n’était vraie. Pourtant, il avait soutenu sans rougir la moindre
de ses aberrations. Le chef était impressionné, voire même un peu effrayé, par la
capacité de Tadeusz à tisser autant de mensonges avec si peu de faits.
Il découvrait l’étendue de l’escroquerie dont cet homme était capable. Et il se
sentait coupable de ne pas l’avoir pas vu plus tôt.
Tadeusz se décida à conclure.
« En résumé, je pense que cet homme doit être destitué de ses fonctions. Il nous
faut d’urgence un nouveau chef ! Plus adéquat, plus ferme. Et surtout plus à l’écoute
des besoins de la cité. Chers concitoyens. Après mûre réflexion, j’ai décidé
d’assumer cette difficile fonction, au moins jusqu’à ce que la cité se remette de tous
ces évènements traumatisants. »
La foule éclata de joie. Le chef faillit tomber de sa chaise à cette annonce. Tadeusz
comptait purement et simplement prendre sa place !
Les administrateurs de cité étaient généralement appointés par un représentant
impérial, après une brève formation à la capitale. Sur le papier, les représentants
étaient supposés être neutres, mais dans la réalité, tout le monde savait qu’il était
possible de les influencer. Parfois même, malheureusement, de les acheter. A la fois
riche et rusé, Tadeusz aurait pu choisir indifféremment l’une ou l’autre méthode,
mais il avait opté pour un moyen d’influence plus intelligent et beaucoup plus
vicieux encore : celui de l’opinion publique. Personne n’avait jamais songé à
l’utiliser ainsi auparavant, encore moins pour accéder à une nomination impériale.
En théorie, si Tadeusz pouvait s’offrir les faveurs de la foule, le reste n’était que
formalité. Il allait transformer l’enquête dont il était l’objet en procédure pour sa
nomination à la chefferie. Il transmuait son épée de Damoclès en marche-pied vers
encore plus de pouvoir.
Le soleil était bas. Tadeusz se tourna vers le chef et dit d’un ton narquois : « Alors,
chef ? Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »