[EGREGORE] Partie IV, chapitre 102

102.
« POURQUOI ! POURQUOI REFUSEZ-VOUS DE CREVER ! POUR QUI
VOUS PRENEZ-VOUS ?! »
Quelques secondes plus tard et il exécutait le chef de la cité. J’étais arrivé à temps.
J’observai les couleurs de Tadeusz. Noires. Tout en lui et autour de lui dégoulinait
de la même fumée visqueuse et lourde que Ian m’avait fait voir en rêve. Je crus
même déceler un visage dans les volutes.
Tadeusz m’attaqua à nouveau avec son épée. Tout en parant ses coups, je lui
répondis.
« Je ne me prends pour personne, en particulier. Un passant, tout au plus. Un
vagabond, qui essaie de ne pas trop rester à la même place, mais qui tâche d’être
utile et agréable aux gens qu’il rencontre. »
J’envoyai valdinguer son épée à plusieurs mètres. Je m’approchai de lui.
« Le contraire de vous, en somme. »
Il recula. Je crois que je l’effrayais, mais il était important de continuer.
« Vous, vous êtes violent. Vous ne considérez aucune autre existence que la vôtre.
« Vous êtes ignorant car vous n’avez que des visions à court terme. »
« Vous êtes inconscient car vous vous fichez des conséquences de vos actes. »
Et enfin, vous êtes vide… »
Il trébucha et tomba en arrière.
« …car vous n’avez aucune véritable et profonde motivation de vivre. Et c’est peut-
être ça qu’il faut changer. »
Je m’approchai lentement et m’assis simplement en face de lui. Je le fixai
attentivement, plongeant mon regard dans le sien, essayant de comprendre.
« Franchement, Tadeusz, je trouve que vous vous sous-estimez » lui dis-je.
« Pourquoi vous être accroché autant de handicaps ? »
Je m’approchai de lui, et comme avec Bartek, j’entrepris de raviver ses couleurs. Je
posai deux doigts sur son front, mais il était si profondément noir et terne que je le
sentis flancher sous le poids de son obscurité. Je vis la main de pierre menaçante
s’effondrer sous son propre poids.
J’étais triste pour lui. Même avec le don de l’Egregore, je ne pouvais rien faire pour
l’aider. C’était donc cela, le libre-arbitre dont avait parlé Ian. La limite du divin.
Tadeusz avait peur depuis trop longtemps et avec trop de constance. Je me levai et
baissai la tête en signe de deuil.
« Vous avez perdu votre chemin dans cette vie, Tadeusz. Je vous souhaite de le
retrouver dans la suivante. »
Tadeusz perdit à jamais la raison ce jour-là.