[EGREGORE] Partie IV, chapitre 96

96.
La couleur de Bartek était sombre. Et terne. Comme une vieille souche d’arbre
rongée par les années. Comme la couleur de ses pensées qui l’une après l’autre
l’avaient mené à ce qu’il est aujourd’hui. Il avait la couleur d’un cadavre, ce qui
dénotait d’avec l’environnement verdoyant et luxuriant autour de nous.
Bartek enchaîna les coups, frénétique. J’avais toujours du mal à le parer et je me
concentrais pour esquiver ses coups d’épée, toujours empoisonnée.
J’en avais oublié cette phrase de Ian, qui me revint en tête comme l’écho indistinct
d’un rêve.
« Comme était-ce, déjà… », pensai-je. « Inspire. »
Un coup vertical. J’esquivai sur le côté. J’inspirai.
Le temps ralentit. « Ensuite… ajuste. »
Un coup horizontal. Je me baissai et me déplaçai d’un seul pas. Bartek se retrouva
dans mon dos. Je serrai mon bâton et le levai au-dessus de moi.
Je devinai Dorn, Ewald et Hasel qui s’inquiétaient de la tournure du combat.
« Et enfin, expire ! »
Je chassai le plus d’air possible de mes poumons. Un son grave, comme un énorme
coup de gong, résonna en moi. L’onde de choc projeta Bartek à plusieurs mètres.
Je me retournai et regardai mes mains. Voila donc quels étaient les effets de la
bénédiction de l’Egregore. Voilà quel était le don de Ian. Je n’avais jamais cherché à
obtenir de pouvoir. Mais pour des raisons que je ne comprenais pas encore
totalement, j’avais à présent celui de défendre les miens.
Je m’approchai de Bartek qui se relevait. Je voulais l’aider lui aussi, si je le pouvais.
« Je ne sais pas ce qui vous a poussé à devenir ainsi, mais je voudrais vous faire un
cadeau. »
Bartek leva son épée, mais je le désarmai de la même façon. Puis, je posai deux
doigts sur son front, comme Ian l’avait fait avec moi.
« Je suis désolé, ça risque de faire mal. »
Je naviguai à présent dans ses émotions. Je les ressentais comme les miennes.
C’était troublant. Tant de douleur. Tant de souffrance en un seul homme. En retenant
les larmes de peines qui me montaient aux yeux mais qui auraient dû être les
siennes, je cherchai dans son esprit la source de cette couleur terne, et j’entrepris de
la rendre plus vive. Bartek hurlait de douleur. Lorsque j’eus fini, il s’évanouit. Je titubai. C’était épuisant.