[EGREGORE] Partie V, chapitre 111

111.
Plusieurs jours étaient passés depuis les événements.
C’était la nuit. Et quelle nuit !
Elle était là. Offerte. Les draps recouvraient partiellement ses jambes nues. Et dans
la pénombre, les rayons d’une lune pas tout à fait pleine traversaient la fenêtre,
éclairant par petites touches les courbes de son corps. Je passai une main sur ses
hanches, puis sur sa jambe, suivant comme un chemin balisé, ce rai de lumière vers
ses délicats reliefs. Ses yeux, quant à eux, n’avaient pas besoin de la lune.
Mutine sous mes caresses, elle me lança un regard qui me fit fondre.
« Comment s’appelait celle d’avant ? » me demanda-t-elle soudainement.
Quelle étrange question posée à un étrange moment, pensai-je. C’était son style.
« Algane. »
« Et celle d’encore avant ? »
« Il n’y en a pas eu avant. »
Elle fut surprise, presque choquée. « Vraiment ? Tu n’as eu qu’une amante ? »
« Deux », corrigeai-je en lui souriant. « Dans cette vie, en tout cas. »
« Comme c’est bizarre », gloussa-t-elle.
« Te moquerais-tu de moi, par hasard ? »
« Oh ! Je ne me le permettrais pas ! » Me dit-elle en feignant d’être profondément
affectée par ma question. Cela me fit doucement rire. Je pris sa main et l’embrassai.
Elle marqua un temps.
« Pourquoi ? » me demanda-t-elle soudain, sérieuse.
La question préférée de Ian.
Du sommet de ses quelques six décennies, elle avait su conserver cette curiosité que
nous avions en commun, et des expressions d’enfant qui m’attendrissaient. La
maturité, mais qui s’amuse d’elle-même.
S’en rendait-elle seulement compte ? Etait-ce calculé ou spontané ?
« Je suppose que je ne suis pas très populaire », répondis-je en éludant. Mais elle
s’offusqua. Elle avait bien senti que c’était le genre de réponse que je donnais par
habitude, pour détourner l’attention. Je vis dans ses yeux que ça ne fonctionnerait
pas sur elle. Ce qui me la rendait encore plus attirante. Les femmes de caractères ne
font pas de coquetteries.
Je pris une grande respiration et tentai de lui répondre plus honnêtement.
« Tout le monde n’a pas besoin de collectionner les amants pour savoir ce qu’il
cherche. »
« Et si ce que tu cherches n’existe pas ? » Je ne sus quoi répondre. « C’est de cela
que tu as peur ? Mourir seul ? »
Je ne pus retenir un fou rire. La question semblait si incongrue à cet instant ! Elle
me donna une tape sur le bras en riant.
« Chut ! Tu risques de réveiller mon nouvel apprenti ! Qu’est-ce qui te fait rire ? »
« Désolé », dis-je en essuyant une larme et en essayant de me contenir. « Je n’avais
pas ri comme ça depuis longtemps ! »