[EGREGORE] Partie II, chapitre 27

27.
Une fois au large, Ewald ressortit de la cale.
« Comment va-t-il ? », hurla Dorn depuis le poste de navigation.
« Faible, mais stable. »
« Je suis surprise de vous voir si bien supporter la haute navigation. »
« Je suis un soignant. Il en faut plus que ça pour me donner mal au cœur ». Dorn
sourit. Décidément, elle commençait à l’apprécier.
Ewald monta l’escalier pour le rejoindre. « De plus, j’ai un patient. Je ne peux pas
me permettre de tomber malade ».
« Votre dévotion vous honore”, répondit-elle d’un ton sincèrement admiratif.
« Certaines personnes laissent passer leur existence sans jamais lui donner de sens.
Pas moi.” Voilà une remarque intéressante. Dorn décida de sauter sur l’occasion
pour en apprendre plus.
« Peut-être qu’ils ont raison. Peut-être que la vie n’a pas de sens. »
« Si c’est le cas, alors rien n’empêche de s’en donner un. »
« Vous vous en êtes donné un ? »
« Bien sûr. »
« Ah ? Quel est-il ? »
« Soigner les gens. Je me retrouve dans l’acte sinon de sauver, au moins de soulager
les vies qui me sont confiées. A les rendre un peu plus agréables à vivre. »
Dorn ne répondit pas. Ewald continua. « Comprenez-vous à présent pourquoi vous
voir systématiquement mettre votre vie en danger me frustre au plus haut point ?
Alors que la plus élémentaire des sagesses voudrait que vous vous protégiez ? »
« Et finir moitié nue sur un lit de l’auberge avec ces limaçons qui se disent marins ?
Non merci ! » Sa réaction surprit Ewald. Dorn prit une grande respiration.
« Excusez-moi, je me suis emportée. Mais c’est si frustrant de voir tellement de
potentiel gâché dans la paresse. »
« De potentiel gâché ? » demanda Ewald.
« Ils se plaignent sans cesse, mais ne font rien pour résoudre leurs problèmes, alors
qu’ils en ont les moyens », s’emporta-t-elle. « Et ils vous regardent comme si vous
étiez idiot ou inconscient quand vous leur proposez des solutions. » Dorn soupira,
troquant pour une seconde son habituel optimisme contre un défaitisme surprenant
de sa part.
« On veut leur rendre service, mais c’est une perte de temps. »
Dans cette dernière phrase, Ewald crut déceler chez Dorn l’ombre fugace du
désespoir. Sa curiosité fut piquée. Il n’avait jamais considéré cela sous cet angle.
« Vous pouvez développer ? »